15.5.09

Au dessus du long nuage blanc

Nouvelle-Zélande, seconde partie (23-28 avril)
Les prévisions météo sont prometteuses, j’entame donc la Kepler track, boucle de 60 kilomètres à l’intérieur du Fjordland National Park. Des fjords, des montagnes, pas mal de dénivelé à avaler en trois jours de marche, une nuit dans une hutte et une sous la tente : voilà mon programme.

Les premiers kilomètres consistent à contourner le lac Te Anau à travers une forêt moussue percée de soleil. Des panneaux avertissent de la présence potentielle du kiwi, ce drôle d’oiseau dodu et sans ailes, emblèmatique du pays. De l’autre côté du lac, je commence à entrevoir les montagnes qui émergent de leur torpeur nuageuse. J’attaque la phase d’ascension la plus raide, qui doit m’amener 800 mètres plus haut, au dessus de la bushline, là où les arbres ne poussent plus et laissent place à des herbes folles, enneigées en hiver. Mon sac commence à peser, j’ai l’impression de trimballer sur mon dos un sanglier pour le festin du soir à la hutte. Je n’ai en fait que des nouilles séchées, haha ! (rire jaune). La démarcation attendue arrive : la vue se dégage et je découvre la vue spectaculaire sur le lac, qui s’étire en fjords ciselés par les montagnes.
La Luxmore Hut où je vais passer la nuit se trouve juste un peu plus loin. Cette bâtisse de bois peut accueillir jusqu’à 55 marcheurs, pour la modique somme de… 45$ la nuit ! C’est encore la pleine saison. Le poêle à bois assure une chaleur relative dans la grande pièce centrale, mais les dortoirs restent frisquets. Avant la tombée de la nuit et à mesure que les marcheurs arrivent à la hutte, nous observons les manigances d’un groupe de Keas. Seul spécimen de perroquet alpin, le Kea a un plumage kaki mais très coloré sous les ailes. Il a aussi la réputation d’être furieusement curieux de toute activité humaine. Mieux vaut ne pas laisser trainer ses chaussures dehors.










Au matin les Keas sont toujours là, mais le spectacle a changé : une épaisse nappe de vapeur couvre le lac et la vallée. Nous sommes au dessus du fameux long nuage blanc, et le soleil n’est pas encore levé. En quelques minutes, il vient embraser la nuée et les cimes alentours.

Cette deuxième journée de marche est la partie "alpine", avec une pointe à 1500 mètres au sommet du Mont Luxmore. Le flanc des montagnes encore dans l’ombre est recouvert de givre. Le chemin devient particulièrement impressionnant lorsqu’il suit une crête large d’environ un mètre. A gauche comme à droite, la vue est plongeante. Le trajet du jour, bien qu’escarpé, n’est que de 15 kilomètres. J’ai tout le temps de m’arrêter, discuter avec les marcheurs, m’imprégner autant que possible de cet endroit. Le temps est superbe, nous sommes chanceux. Ce passage est impraticable en cas de mauvaises conditions météo.
Après être redescendu à travers bois, j’arrive au Iris Burn campsite où je rencontre Mark, un Néo-zélandais qui lui aussi campe ici. La plupart des marcheurs dormiront une nouvelle fois dans une hutte, dont l’accès nous est interdit : nous avons réservé pour le camping. Mark, 25 ans, vient de l’île Nord et c’est un « kiwi » assez étonnant. Son sac pèse environ 35 kilos, il a notamment emmené avec lui deux ensembles complets de vêtements à l’épreuve de la pluie, des sacs de nourriture (saucisses, patates, pas vraiment de l’ultra light) et… son ordinateur (pour pouvoir regarder des films). That’s insaaane !

Anecdote kiwi : Mark me raconte qu’hier il est arrivé à la hutte après la tombée de la nuit, étant resté sur les sommets pour regarder le coucher de soleil. Il a couru tout le long de la descente et a débarqué dans la hutte en sueur pour demander où se trouvait le camping. Il s’est fait mettre dehors sans ménagement par le « ranger résident » furieux, qui a pensé que Mark le campeur voulait utiliser une excuse pour dormir dans la hutte. Le ranger -qui est une petite dame énergique d’environ 60 ans- lui a conseillé de planter sa tente dans la plaine… où il a pu profiter pleinement de l’humidité remontant du sol, et du gel du matin. Il est en fait plus judicieux de camper dans la forêt pour être abrité un minimum par les arbres. Se sentant un peu coupable de son coup, la ranger l’a invité le lendemain à prendre le lunch et le café dans ses quartiers. Mark lui a demandé de rester une nuit de plus gratuitement, pour repartir chercher son blouson contenant ses clés de voiture, qu’il a perdu en dévalant la montagne. Ils sont fous ces kiwis.
Bientôt rejoint par un jeune couple de Britanniques suréquipés, nous installons notre campement, dans la forêt donc. Un rivière limpide est toute proche, où nous nous approvisionnons en eau. Mark nous encourage à manger autant que possible, ce sera ça de moins à porter lors de l’étape du lendemain, 25 bornes. La nuit est fraîche, et nous un peu moins pour attaquer ce dernier jour de marche. Mais la vallée est grandiose, et nous nous en extirpons finalement en milieu d’après-midi.

Après une nuit à Te Anau, Mark propose de me déposer à Queenstown. Je ne refuse pas : il me faut en effet faire route vers Christchurch, mon vol retour est dans deux jours. A Queenstown, je décide de tenter de faire du stop, une pratique plus courante en NZ qu’en Australie. Je me poste sur la route qui sort de la ville. Mark m’avait prévenu : « ce sont les touristes qui vont te prendre, il n’y a pas beaucoup de kiwis par ici ». C’est pourtant dans 4 voitures néo-zélandaise que je vais monter !

Il y a déjà un auto-stoppeur qui attend à l’endroit stratégique. Je me place un peu plus loin, et au bout de cinq minutes un couple de chics kiwis m’invite à monter. Madame m’explique qu’ils hésitaient entre mon concurrent et moi, et elle rigole quand je lui annonce qu’il attendait depuis plus longtemps : « il va se demander pourquoi on ne l’a pas pris ! ». Monsieur me raconte qu’il a assisté aux 24h du Mans dans sa jeunesse. A l’embranchement suivant, ils me déposent, et 5 secondes plus tard je monte dans la voiture de Zach. Ce lycéen habite dans le coin. Il veut étudier les beaux-arts à l’université de Dunedin l’an prochain. Il doit me déposer au bout de 10 minutes, et j’ai probablement oublié mon portable dans sa voiture.









Après 20 minutes d’attente, une Ford Falcon vintage verte s’arrête, musique à fond. Trois gars, bière à la main et surexcités, m’invitent à embarquer. La conductrice, nommée Israël, est sobre et m’explique qu’ils "ne sont pas méchants". Ils rentrent du 21st d’un ami, âge où la fête d’anniversaire est importante ici comme en Australie. Les fenêtres sont ouvertes, la route est belle. Bribes de conversation, en VO, sur fond de Metallica :

- “Tell us if you want to stop to take a picture eh !.. there will be plenty of piss stops anyway !” - “How are the girls like in France ?” - “Euh… well…”
- “Are young people in France driving old cars and listening to loud music like us ?” –“Well, yes, some of them probably.”

-“You know, people are not so friendly in the North island, it’s really a South island stuff. Take another beer.”
-“Ooooh, we have a politician in the car !“ -“Actually I want to be a journalist“

-“That’s good to meet some locals eh ? “ -“You bet !”


Ils doivent tourner vers Alexandra, et me laissent donc à la sortie de Cromwell… où un autre auto-stoppeur qui fait le pied de grue pense qu’on s’arrête pour lui. La route est beaucoup moins fréquentée, et les véhicules de location ne s’arrêtent définitivement pas, ce qui laisse peu d’autres possibilités. L’autostoppeur retourne en ville au bout d’une demi-heure. Faire du stop, c’est une histoire de chance et de patience. Je confectionne une belle pancarte et me fixe Twizel comme objectif du jour. Cette stratégie est finalement payante, et c’est à nouveau un kiwi qui s’arrête.
Paul accepte de m’emmener jusqu’à Twizel, c’est avec lui que je vais faire la majeure partie de mon trajet du jour. Il rentre d’un weekend de vendanges chez des amis. Nous discutons politique, notamment des différences entre le sort de Aborigènes en Australie et celui des Maoris en NZ. Au bout de deux heures de route au milieu de montagnes pelées désertiques, me voilà à Twizel. Le Mont Cook est tout proche, la météo y est très mauvaise. Le lendemain, il pleut : je prends un bus jusqu’à Christchurch, et profite encore un peu de la ville avant de m’envoler.

Conclusion de ces deux trop courtes semaines : la Nouvelle-Zélande –en tout cas l’île Sud- est une terre spectaculaire, à la beauté remarquable. La comparaison avec l’Australie, bien plus grande et plus diverse, ne serait pas juste et n’a pas lieu d’être. Ces pays ne dégagent pas la même atmosphère. En tout cas, les kiwis du Sud sont au moins aussi sympas que les kangourous.

2.5.09

Sous le long nuage blanc

Nouvelle-Zélande, première partie (11-22 avril)
Arriver en Nouvelle-Zélande par les airs, c’est d’abord comprendre pourquoi les Maoris ont appelé cette terre « Aotearoa », le pays du long nuage blanc. Pour rejoindre Christchurch, la ville principale de l’île Sud, je survole des crêtes rivalisant de blancheur avec leurs écharpes de vapeur. Puis, suspendues aux montagnes, ce sont les vallées interminables, creusées par les glaciers et les cours d’eau. Ces paysages sont ceux qu’on peut rencontrer dans la partie sud du pays. L’île Sud est réputée spectaculaire, avec ses sommets omniprésents, et sauvage, trois quart des 4 millions de Néo-Zélandais vivant dans l’île Nord. Vacances de mi-semestre, j’ai 17 jours pour faire le tour de l’île. Pas assez pour la découvrir en profondeur, mais suffisamment pour capter l’atmosphère – humide – de cet écrin minéral et végétal.

Je débarque donc à Christchurch, ville sœur d’Adélaïde (elles ont été planifiées et conçues de la même manière). Parcs parés des rouges et des jaunes de saison, architectures oscillant entre l’ancien et le moderne, rues piétonnes. Sur le Cathedral Square, centre de la ville, des joueurs d’échecs s’affrontent en public. La ville est tranquille, c’est le weekend de Pâques, et la cathédrale accueille en son balcon les chœur et orchestre de la ville pour une célébration rayonnante.

Je prends un bus pour Picton, au nord de l’île, où je rejoins Anne et Carlo, deux Allemands avec qui j’ai pris contact sur Gum Tree. Ils ont passé un mois dans l’île Nord et cherchent un compagnon pour la suite du voyage. Ils louent un petit camping car, douche incluse, le luxe quoi. Mais bon, le prix est très raisonnable et c’est un diesel, donc c’est parti. Anne et Carlo sont sympathiques, mais pas habitués à aller crapahuter dans les parcs nationaux… ce qui est mon principal projet ! Ils recherchent « l’aventure », des expériences fortes… qu’ils trouvent principalement dans des activités organisées, chute libre, jet boat, bain de boue (!). L’industrie touristique est en expansion, ces attractions sont promues à grands frais et font le plein. Je convertis peu à peu mes compères aux joies de la randonnée, qui seule permet de fuir les cars de Chinois et les vans de fêtards pour apprécier en toute sérénité un patrimoine naturel époustouflant, photogénique à outrance. Revue, en image donc, des lieux visités.


L’Abel Tasman National Park est un parc côtier situé au Nord de l’île, connu pour ses plages et ses îlots. Nous suivons la marche côtière à travers bois puis revenons par la plage alors que le soleil se couche et que les montagnes se teintent de violet. Des hérons et des cormorans font mine de ne pas nous voir.

Changement de décor au Nelson Lakes NP, un peu au Sud à l’intérieur des terres. Nous grimpons vers Mount Robert pour admirer la vue sur le lac Rotoiti, serti d’une impressionnante barrière de montagnes. On trouve un peu de neige au sommet. Un hélicoptère effectue des rotations au dessus de nos têtes, charriant de la terre pour redessiner le chemin. Cette marche va bientôt faire partie des « Great Walks », un ensemble de grandes randonnées populaires et garanties sans mauvaises surprises. Le nombre croissant de marcheurs oblige les autorités à investir dans ces chemins : un mauvais sentier entraine une dégradation de l’environnement, les marcheurs mal chaussés contournant la piste quand elle est boueuse, ce qui crée plus de boue, etc.
Le Kahurangi NP est immense mais assez confidentiel. Une petite dame d’un centre de visiteurs paumé nous indique la route qui mène au départ de la Wangapeka Track. La «dirt road» rétrécit de plus en plus, nous emmène au fond d’une vallée bordée de gigantesques murailles montagneuses. Le chemin suit la rivière Wangapeka. Nous repérons une grosse truite.

La route de la côte ouest est réputée splendide, et humide. Deux jours de pluie ininterrompue s’abattent sur « Horst », notre camping car. La mer est déchainée, des cascades spontanées dévalent sur le bord des routes. Que d’eau ! La Nouvelle-Zélande, surtout comparée à l’Australie, c’est un festival aquatique, l’eau sous toutes ses formes : neige, glace, nuages et brumes, fougères ruisselantes, mousses imbibées, embruns, pluie, torrents, fleuves gonflés, c’en est presque fatiguant. Nous apprenons que la route qui mène aux glaciers est coupée, « washed out » à cause de la pluie. Nous attendons une demi-journée à Hokitika, la route est à nouveau ouverte sur une voie, et nous constatons qu’un morceau s’est effectivement effondré.

Franz Joseph Glacier. Le premier des deux glaciers iconiques de l’île Sud. Nous nous embarquons dans une marche assez épique, sur le pan de montagne qui flanque le glacier. Nous franchissons en tout 43 cours d’eau, du fleuve au ruisseau, la plupart spontanés, faisant suite aux pluies. Parfois c’est le chemin qui se transforme en rivière, ou l’inverse, on ne sait pas trop. Après trois heures de grimpette, la vue sur le glacier est imprenable. Puis il faut revenir en sens inverse (oui, c’est là qu’on a compté, 43).













Le Fox Glacier est assez différent de son jumeau. La paroi rocheuse vertigineuse qui le borde lui vole presque la vedette. Nous nous rendons au pied du glacier, d’où s’écoule un torrent charriant de gros glaçons. Carlo et Anne vont carrément toucher le glacier, ce qui est assez idiot, puisque c’est à cet endroit que la glace fond, parfois se détachant en pans entiers. Mais bon, c’est « l’aventure ».
Wanaka est une ville assez charmante, sise au bord d'un lac majestueux. Nous y faisons une pause de deux jours. C’est l’occasion d’aller voir un film au « Cinema Paradiso », assez original puisque les sièges sont des canapés de recup'. Il y a même une voiture dans la salle. Wicked !


La Pisa Conservation Area est juste un stop sur la route vers Queenstown, mais au bout d’une heure de marche nous sommes au sommet de Rock Peak, comme au milieu de nulle part. Ambiance rocailleuse et herbes séchées, montagnes à perte de vue, grand silence et faucons qui tournoient . Ca y est, je suis Légolas. Bon, ok, je suis un hobbit bondissant.

Queenstown est une ville bétonnée très laide, peuplée de jeunes gens effrayants et autoproclamée « capitale de l’adrénaline ». Anne et Carlo veulent y passer quatre jours pour faire la fête, je comprends qu’il est temps qu’on se sépare. Mon projet est de faire la Kepler track, une randonnée alpine de trois jours, dont le départ se situe à Te Anau. Mes Allemands me déposent sur place, on se dit tschuss, je prépare mon sac dans une auberge de jeunesse de la ville en discutant avec… trois Allemandes. Promis, je vais essayer de rencontrer quelques « locaux ».

...à suivre