10.6.09

Op-shopping : au petit bonheur la chance

L'expression op shop est l'abréviation de opportunity shop, que j'ai envie de traduire par "magasin de la chance". Très populaires, ces boutiques tenues par des associations caritatives centralisent les dons matériels des âmes généreuses, pour les revendre à des prix souvent dérisoires. Vêtements, meubles, vaisselle, livres : on trouve à peu près de tout dans les op shop. Diverses associations et leurs volontaires gèrent ces magasins : Armée du Salut, Saint-Vincent de Paul et Croix Rouge en tête. Le plus proche de chez moi, c'est le centre d'Hawthorn, tenu par la Société Saint-Vincent de Paul.

La flexibilité pragmatique de la langue anglaise autorise l'usage du verbe op-shopping. La plupart de gens ne vont pas vraiment au op shop parce qu'ils ont besoin de quelque chose. C'est plutôt une expédition, seul ou entre amis. Les familles défavorisées peuvent se procurer des bons d'achat à dépenser dans ces centres. Mais le op-shoping n'est pas marqué socialement : il concerne aussi bien des dames chic à la recherche d'une nappe en crochet, des pères de famille qui viennent faire le plein de livres illustrés, des collectionneurs en tous genres... Ou bien des étudiants surexcités qui cherchent un costume pour aller à une soirée déguisée. "Ceux-là sont les plus drôles", raconte Patricia, 81 ans, volontaire au centre depuis un bon paquet d'années. "Vers la fin du semestre, ils viennent en bande et passent des heures à faire des essayages en hurlant de rire, ça met de l'ambiance".

En fait, il se passe toujours quelque chose au op shop. Le spectacle est dans les rayons, où s'imbriquent des objets incroyables, dont on se demande comment ils vont trouver preneur. Dans une vitrine, sir Winston Churchill affiche une moue boudeuse : 60 dollars l'assiette. Ce doit être une rareté. Deux haltères : 6 dollars. Un exemplaire relié de Pride and Prejudice : 2 dollars. Aujourd'hui, tous les vêtements portant une étiquette verte sont à un dollar (50 centimes d'euro). Un monsieur sort avec une veste, deux chemises et un pantalon : 6 dollars ! Le spectacle est aussi de l'autre côté du comptoir, où l'armada de volontaires officie. Les volontaires sont quasiment tous des mamies dynamiques, au sens de l'humour prononcé. Un type bizarre s'adresse à Patricia : "Hello young lady". Elle réplique : "Oh, you're very flattering !"

Une dame essaie de négocier les 80 dollars d'un paire de grands rideaux fleuris. Patricia tient bon : "Si vous les faisiez faire dans le commerce, ça vous coûterait 500 dollars !". L'argument fait mouche. Une autre dame, collectionneuse de robes de mariée, vient collecter sa dernière acquisition : "Je n'ai pas pu résister". Elle ronchonne en voyant qu'un bout de scotch a été collé sur le schéma descriptif de la robe. "Ça va se déchirer si je le retire !".
Dans l'arrière-boutique, d'autres volontaires réceptionnent les dons, trient les quantités d'articles plus ou moins démodés, et leur attribuent un prix. 100% de bénéfice. Il y a autant d'objets dans les rayons qu'à l'arrière, qui attendent de trouver un nouveau propriétaire. Seuls les meilleurs vêtements sont gardés, les autres seront envoyés à l'étranger en tant qu'aide humanitaire, ou au recyclage.

Dans la salle des livres, un portrait de Frédéric Ozanam est suspendu. C'est lui qui fonda la Société Saint-Vincent de Paul à Paris, en 1833. En Australie, les op shop rapportent de l'argent à la société pour financer ses actions, et créent du lien social. Il parait que le nombre de volontaires a tendance à baisser, et qu'il est de plus en plus difficile de trouver des dons de qualité. Ce n'est pas l'impression qui se dégage du op shop près de chez moi. Je sors avec un pantalon gris, jamais porté, 7 dollars au lieu de 100. Si vous venez en Australie, poussez la porte d'un op shop. Un objet, un vêtement, vous y attend.

1 commentaire:

MacB a dit…

C'est un genre d'Emmaus en plus propre semble-t-il !