12.1.09

Déjà six mois…

Je suis arrivé en Australie le 12 juillet 2008, cela fait donc six mois que je suis ici, c’est théoriquement la moitié de mon année à l’étranger. Un bilan de mi-parcours s’impose.

D’abord, ces six mois ne sont pas passés aussi vite que je l’avais prévu avant de partir. J’ai été occupé à faire des choses assez variées, qui se sont succédées sans gros temps morts, ce qui me donne l’impression d’avoir passé six mois pleins, riches en expériences différentes. Les JMJ de Sydney, l’installation à Adelaide, la prise des marques à l’université, les premières vacances dans les Flinders Ranges, la reprise des cours, d’autres sorties en South Australia, les examens, un Helpx, un volontariat, puis de nouveau un road trip vers les Alpes… Cet enchaînement s’est fait assez tranquillement, mais cela me donne tout de même l’impression d’avoir quitté la France depuis un moment.

Première partie du bilan : les études. C’est vrai, je n’en parle pas beaucoup sur le blog, au risque d’inquiéter un peu certains. Pourtant j’ai bien étudié durant un semestre à l’université d’Adélaide, et j’ai validé mes cours. Etudier en anglais n’est pas très différent d’étudier en français, et j’y étais déjà habitué grâce aux cours en anglais à Sciences Po. Mes cours ici ont été variés et intéressants, et j’espère trouver d’autres cours stimulants pour mon second semestre.

La « vie quotidienne » est un autre aspect de cette année que je n’ai pas trop développé dans ce blog, pour la même raison que les études : je pense que c’est moins intéressant, parce que finalement assez proche de ma vie française. La ville d’Adelaide, bien que peuplée d’oiseaux multicolores et ornée d’arbres aux fleurs exotiques, fonctionne comme n’importe quelle ville européenne. Ma vie d’étudiant s’est assez vite installée dans des habitudes, bus, université, bibliothèque, sorties… Comment pourrait-il en être autrement ? Cette année se veut être avant tout une année universitaire. J’imaginai sans doute aller surfer tous les matins avant d’aller en cours, quelque chose comme ça. Mais non, la vie d’étudiant en Australie est bien « classique ». Simplement, la qualité de vie et l’absence de stress font que cette vie est un peu plus relaxante que la vie parisienne. Et bien sûr, découvrir une nouvelle ville, faire des connaissances, apprivoiser un autre langage, c’est toujours excitant, hein, quand même !

L’anglais, parlons-en. Mon niveau s’est bien sûr nettement amélioré, ma compréhension est bien meilleure, et mon oral également. Avoirs des collocs australiens a bien aidé sur ces deux plans. Je sens que l’accent est en train de venir, ce qui a mis pas mal de temps. Mon niveau à l’écrit s’est aussi amélioré, ce que je peux constater en lisant mes écrits anglais datant de six mois ou plus. Pas de surprise, vivre dans une langue force à faire des progrès spectaculaires. En revanche, il m’est très facile de perdre des mots de français, de faire des anglicismes, etc. Restons vigilants.

L’éloignement de la famille, des amis, et plus largement de la France (!) n’a pas été trop dur à supporter, malgré un léger mal du pays durant les fêtes. Internet y est sans doute pour beaucoup, qui rend l’envoi de nouvelles aux proches instantané, et permet de consulter n’importe quel site d’information. J’ai passé pas mal de temps sur Internet, notamment à lire la presse, pour préparer la suite de mes études en France. Une chaîne australienne, SBS, diffuse également le journal de 20h de France 2 chaque matin à 9h20, ce qui m’a bien aidé à rester en contact avec l’actu de chez nous, de temps à autre. La nourriture française, en revanche, me manque souvent, l’Australie n’étant pas vraiment un pays gastronomique. J’ai dû apprendre à cuisiner de bons petits plats, à partager avec d’autres nostalgiques de la vraie nourriture.

Finalement, ma plus grande source de surprise, c’est l’Australie. Mon idée de ce pays était bien étriquée, n’allant pas plus loin que les clichés : kangourous, koalas, surfeurs, Sydney, et les grandes étendues de sable rouge. Les quelques voyages que j’ai pu faire jusqu’à présent m’ont fait découvrir un pays-continent d’une diversité de paysages et de faune époustouflante. C’est en prenant la route qu’on s’en aperçoit le mieux : le paysage peut changer complètement sur quelques kilomètres d’intervalle. Pour l’instant, je n’ai visité que l’état de l’Australie Méridionale, et un peu le Victoria, mais déjà, quelle diversité ! Le nombre d’espèces animales sauvages est aussi à la mesure du pays, immense. Je ne m’attendais pas à ça. Il faudrait plus d’une vie pour "tout" voir de l’Australie. Y voyager, peut être plus qu'ailleurs, c’est faire des choix. Pour février, j’irai certainement en Tasmanie. Mais il me reste encore tant à voir : les forêts tropicales du Queensland, le Nord, l’Ouest… Voilà encore pas mal de pistes à explorer, durant les six prochains mois.

Seulement voilà, je vais reprendre ma vie d’étudiant en mars, certes avec quelques vacances, mais je serai en ville la majeure partie du temps. Là aussi, il y a de nouvelles expériences à faire. Avant de partir, je voulais m’engager auprès d’associations locales, comme par exemple les scouts, ce que je n’ai pas encore fait. Je souhaite aussi écrire plus d’articles, pourquoi pas trouver des stages ou jobs dans le journalisme. Voilà quelques résolutions, avant le prochain bilan, définitif cette fois, vers juillet ou un peu après… Je n’ai pas encore pris de billet retour !

Je n’oublie pas le bilan physique. Je n’ai pas spécialement pris ni perdu de poids. Je suis constamment bronzé, mais j’essaie de ne pas trop travailler à un futur cancer de la peau. J’ai changé de lunettes, pour cause de casse. Mes cheveux sont plus longs, je ne les ai pas fait couper depuis mon arrivée. On verra si ça dure. E;-)

5.1.09

Tintin en Australie (Péninsule d’Eyre, 8 – 20 décembre 2008)

Le mois dernier, j’ai participé en tant que volontaire à une expédition scientifique dans la péninsule d’Eyre, toujours dans mon Etat d’Australie du sud, à 800km à l’est d’Adelaide. J’avais repéré, à l’université, une affiche promettant l’aventure et le contact avec des lézards surprenants, tous frais payés. Ce projet est une étude de long terme, menée par Annabel Smith, une étudiante doctorante de l’université de Flinders (à Adelaide). J’ai sauté sur l’occasion, et me suis donc retrouvé deux semaines dans le bush avec cinq compères australiens, à capturer des reptiles plus rigolos les uns que les autres. J’ai joué au reporter animalier, rassemblant des informations, prenant des photos, traquant la bête jusque dans son trou. Mon reportage devrait être publié dans le prochain numéro d’un magazine français s’intéressant aux reptiles, en voici un aperçu en avant-première. Bonne lecture.


Les lézards de la Mallee

Au sud de l’Australie, à l’intérieur des terres de la péninsule d’Eyre, s’étend la Mallee. Ce désert de sable et de buissons secs est régulièrement ravagé par des feux de broussaille. Certains reptiles prospèrent pourtant dans cet habitat hostile. La scientifique Annabel Smith dirige depuis deux ans une étude pour comprendre comment ces créatures fascinantes s’adaptent à leur environnement.


« Le ciel est couvert, la nuit sera chaude, c’est parfait pour les geckos ! ». À peine arrivés à notre quartier général, une ferme en bordure de la réserve d’Heggarton, Annabel Smith nous emmène déterrer les premiers pièges, enfouis au beau milieu du bush. Notre véhicule tout-terrain bondit sur les dunes, le soleil rase déjà les buissons qui s’étendent à perte de vue. Je fais partie des cinq volontaires qui assistent Annabel dans la collecte des données nécessaires à l’élaboration de sa thèse. Durant deux semaines, je vais faire l’expérience du laborieux travail scientifique de terrain, avec son lot de déconvenues et d’aléas climatiques. Mais surtout, je vais pouvoir constater l’ingéniosité des reptiles qui vivent, insoupçonnés, dans les sables de ce grand maquis australien.

Mais comment capture-t-on un lézard ? Avec un appât ? Impossible, à cause des fourmis. Les « pièges à chute » que nous installons se composent principalement d’un seau enterré au ras du sol, dans lequel les reptiles doivent tomber. Une clôture de plastique noir, longue de dix mètres et haute de vingt centimètres, rabat les lézards vers le seau, placé au milieu du dispositif. Le principe semble simple, mais je suis un peu sceptique sur son efficacité, alors que je dresse péniblement mon dixième piège de la soirée. En tout, nous installerons en deux jours 332 pièges de la sorte, répartis dans trois réserves naturelles.

Le lendemain, nous trouvons dans le même seau deux geckos étoilés (Nephrusus stellatus). Comme tous les geckos, ils sont nocturnes, et la nuit été assez chaude pour qu’ils aillent vadrouiller du côté de nos pièges. À peine longs d’une dizaine de centimètres, ils ont une apparence étonnante, avec leurs gros yeux noirs aux paupières bleutées et leur très courte queue terminée par une petite protubérance ronde. L’habitat aride offert par la Mallee leur convient parfaitement : ils s’enfouissent dans le sable des longues dunes plantées de rares arbustes. Un de ces lézards est une femelle de 16 grammes, prête à pondre deux œufs qui apparaissent en transparence sous son ventre. Après avoir procédé à une série de mesures et collecté un échantillon sanguin, nous relâchons le couple à proximité du piège où nous les avons trouvés.

Ce gecko ainsi que deux autres lézards (un dragon et un scinque) sont les espèces sur lesquelles l’étude se focalise. Le but de la recherche est de comprendre pourquoi ces reptiles réagissent différemment après un feu de broussaille. Ces feux sont en effet fréquents et tendent à l’être plus encore avec le changement climatique, dans la région la plus sèche d’Australie. Pour limiter les conséquences des incendies, les gestionnaires des parcs naturels procèdent à des feux préventifs, sans toujours se soucier de leur impact sur la dispersion de la faune. Les pièges répartis dans des sites ayant brulé plus ou moins récemment montrent que les geckos s’accommodent bien d’un habitat calciné, qui leur permet de se mouvoir et de s’enfouir plus facilement. En revanche, les Scincidae ont besoin d’une végétation âgée d’au moins une dizaine d’année pour vivre. Leur abri favori est le spinifex, un buisson dense et épineux, à la repousse lente. Nous devons nous munir de navigateurs GPS pour aller vérifier les pièges situés dans la Mallee vieille de vingt ans, plantée de petits eucalyptus caractéristiques, hauts de quatre mètres. C’est ici que nous trouvons le ctenotus des sables (Ctenotus schomburgkii), long de six à sept centimètres, caractérisé par ses points orange latéraux.

Nous installons deux cent pièges en douze heures de travail mercredi, et nos efforts sont récompensés le lendemain : la récolte est bonne. Andy, un des volontaires, est enthousiaste : « On a attrapé un moloch ! ». Celui qu’on appelle diable cornu ou moloch hérissé (Moloch horridus) est en effet tombé dans nos filets. Le plus charismatique des agamidés, couvert d’épines beiges et brunes, compte sur son camouflage et son aspect dissuasif pour tenir les prédateurs éloignés. La boule épineuse placée sur son dos reste une énigme : certains pensent qu’elle servirait de tête factice, pour tromper l’adversaire en cas d’attaque. Mesurant à peine une dizaine de centimètres, le Moloch se déplace en se dandinant tranquillement, sa queue incurvée vers le haut. En le tenant au creux de ma main, je réalise que sa réputation sulfureuse est largement exagérée. Notre monstre se nourrit exclusivement de petites fourmis noires, jusqu’à 5000 par repas !

Une autre espèce rare se trouve au fond d’un seau ce matin : le Strophurus assimilis. Ce gecko gris pale, au dos parsemé de petites excroissances orange, ouvre de grands yeux argentés nervurés de noir. Tout comme le moloch, ce spécimen ne fait pas partie des trois espèces ciblées, mais nous ramenons à notre base tous les lézards attrapés pour les identifier et archiver un fragment de tissu, l’extrémité de la queue, qui repoussera. Seuls les lézards cibles sont mesurés, pesés et marqués. Un échantillon sanguin est prélevé, pour étudier la dispersion. « Les animaux doivent quitter leur lieu de naissance pour éviter une reproduction stérile avec leurs semblables, explique Annabel Smith. La génétique est le meilleur moyen d’étudier les déplacements d’un groupe de reptiles. Comme ils sont dépendants d’un type d’habitat particulier, une mauvaise gestion des feux préventifs peut menacer leur reproduction en empêchant la dispersion ».

Alors que les conditions climatiques étaient jusqu’ici favorables, décembre offrant des températures entre trente et quarante degrés, une pluie torrentielle comme il n’en tombe que tous les trois ou quatre ans s’abat sur la Mallee, sans discontinuer. La température chute à vingt degrés, ce qui est trop bas pour capturer un nombre suffisant de lézards. Nous trouvons des pièges remplis d’eau à ras-bord. Quelques rares geckos amateurs d’humidité flottent sur les planchettes de bois que nous avons placées à cet effet au fond des seaux. Le moral de l’équipe est bas alors que nous vidons péniblement les pièges à l’aide d’écopes de fortune. Les chemins desséchés sont imperméables à tant d’eau : notre 4x4 s’embourbe profondément, pour compléter le tableau.

Pourtant, avec la hausse soudaine du taux d’humidité, d’autres formes de vie sont à la fête. Des grenouilles fouisseuses (Neobatrachus pictus) sortent du sable, un événement qui n’arrive qu’en cas de pluie abondante. Ces amphibiens aux iris mordorés savent qu’ils n’ont que quelques jours pour en profiter, avant de s’enterrer jusqu’au déluge prochain. Nous trouvons également dans les seaux des marsupiaux natifs, tels que le ningaui ou le dunnart, des mammifères de la taille d’une souris. Un dunnart agrippé à sa planche de bois me fixe de ses yeux écarquillés, content que j’écourte ce bain forcé. Le climat suivant la pluie n’étant pas favorable, Annabel décide d’orienter nos efforts des derniers jours vers la recherche des dragons arboricoles.

Cette espèce vivant exclusivement dans la Mallee est effectivement ciblée par l’étude. Les dragons arboricoles (Amphibolurus norrosi) sont omniprésents, mais bien camouflés. Leur robe grise se fond dans leur environnement de feuilles mortes et de branches ternes. Mieux encore, leurs flancs se teintent d’ocre quand leur environnement est dominé par le sable. Des sortes de cils noirs se dessinent sur les contours de leurs yeux. Le moyen le plus simple d’étudier ces lézards est de placer un émetteur radio sur ceux trouvés dans les pièges. Il suffit ensuite d’utiliser une antenne pour retrouver leur trace. Mais comme les dragons, parfois longs d’une vingtaine de centimètres pour les femelles, tombent rarement dans les seaux, il nous faut partir à la pêche pour trouver de nouveaux spécimens. La pêche, au sens propre. Nous sommes munis de cannes rétractables, au bout desquelles pend un petit lasso. Quand un dragon sent un prédateur proche, il reste immobile pour ne pas trahir sa présence. Il est alors possible d’approcher le lasso pour le cueillir. Certains sont cependant plus méfiants, et déguerpissent en courant, dressés sur leurs pattes arrières ! Nous parvenons à trouver deux nouveaux dragons, que nous affublons d’un émetteur dorsal. Ce petit objet d’un gramme tombera naturellement quand ils mueront.

Alors que nous refermons les pièges sur deux semaines de travail, le bilan est mitigé : le nombre de reptiles prélevés est resté faible, mais il m’a été donné de voir toute une faune habituellement invisible à l’homme. La recherche menée ici semble fastidieuse, mais Annabel Smith entrevoit des possibilités d’application : « Je ne veux pas travailler trois ans pour de la science pure, je crois que ma thèse sera utile. Elle montre la nécessité d’assurer le maintien d’une mosaïque de végétations d’âges variés ». Bien que l’Australie soit le pays comptant le plus grand nombre de reptiles natifs, les habitats naturels se sont considérablement réduits avec l’accroissement de l’activité humaine lors des deux derniers siècles. Les parcs de conservation de la péninsule d’Eyre sont loin d’être des sanctuaires inviolables par l’homme. La préservation de ces espaces et un usage contrôlé des feux préventifs sont nécessaires à la protection de la biodiversité. La tranquille discrétion des lézards de la Mallee ne doit pas faire oublier la fragilité de leur écosystème.