26.3.09

Le coup de la panne

Les preux chevaliers sont parfois trahis par leurs destriers, la vie est ainsi faite. J’ai beau lui murmurer à l’oreille, lui faire promettre que tout se passera bien, Titine fait sa caractérielle. Notre vertueuse Ford s’accorde un écart de conduite de temps à autre. En Tasmanie, elle donne dans le «Non, je ne démarrerais pas». Problème de batterie, me direz-vous. Il semblerait, oui, puisqu’un «jump start» à l’aide de pinces croco suffit à nous remettre en route. Pourtant le garagiste de Buxton était formel, la batterie charge bien… Toujours est-il que Titine nous fait le coup de la panne 5 fois en 5 jours. C’est le rituel du matin : trouver quelqu’un avec une voiture et ces fichus câbles sous la main. Un jump start = une rencontre savoureuse. Galerie de portraits.

L’Australien en vacances. A Macquarie Heads, sur la côte ouest, première alerte. Nous avons passé la nuit dans un camping fort agréable, situé en bordure d’une baie boisée ponctuée de phares. La voiture ne démarre pas, ok. On est au milieu du camping : dans ce cas, mieux vaut accoster un groupe d’Australiens suréquipés, avec 4x4, caravanes, tentes rétractables et j’en passe. «Australien suréquipé» est un pléonasme, les Australiens adorent avoir du matériel dernier cri, surtout en vacances. Ils ne conçoivent pas de se lancer dans une activité quelconque s’ils n’ont pas le bon matériel, le «gear». Bon, là tout de suite, c’est très appréciable. Le premier pêcheur à qui j’explique notre problème nous dépanne illico, «no worries» (tic de langage signifiant «pas de soucis», la devise nationale, en quelque sorte).

Le ranger philosophe. Au vaste camping du lac Saint Clair, nous passons deux nuits pluvieuses. Au matin, forcément, rebelote. Nous nous tournons naturellement vers les 4x4 et caravanes alentours, mais voilà, il pleut, personne n’est vraiment disposé à nous aider. Notre seul recours est d’aller chercher le «ranger» local, au centre d’informations. Les rangers sont les anges gardiens des parcs naturels australiens, de leur faune, flore… et des visiteurs. D’un air goguenard qui veut dire «vous n’êtes pas les premiers», il nous demande si par hasard on ne voudrait pas faire un petit don pour la sauvegarde du parc. On s’exécute, le ranger rapplique et nous dépanne, s’expliquant : «Vous savez, on est pas vraiment d’accord avec les prix qu’ils pratiquent dans ce camping, c’est très commercial, c’est pour ça qu’on demande un don pour le parc dans ces cas là». Nous faisons mine de ne pas découvrir que le camping est en fait payant. Les sanitaires, la cuisine, c’était donc ça.

Les voisins ruraux. J’ai la bonne idée de nous faire passer la nuit du samedi au fond d’une impasse bien pentue, paumée dans la campagne, aux alentours de Norfolk. Le lendemain, of course, nous voilà cloués… et c’est dimanche matin. Une mamie en pyjama nous explique, tout en essayant de faire taire ses chiens, qu’elle n’a pas le «gear», que son fils est à Hobart pour la journée. Elle nous indique le voisin d’à côté, un type un peu lunaire qui vit seul dans une petite maison bizarre. Il n’a pas de câbles mais il veut bien nous aider… C’est gentil mais comment ? Pendant qu’on l’attend, Mélissa va voir les voisins du dessus, deux hommes assez âgés qui blêmissent quand on explique que le voisin du dessous va arriver pour nous aider. «oh, celui-là, il ne peut même pas réparer sa propre voiture». Ils ont une batterie et des câbles avec eux : «vroum». Le voisin du dessous débarque, salut poli. «Vous devriez prendre soin de votre batterie». On y pensera. Chacun rentre chez soi. Ceux du dessus nous remercient presque : «c’est tellement ennuyant la vie dans cette impasse !».

Le faux ronchon. Extrême sud, nous avons campé deux jours à Cockle Creek, et le verdict du capot ne nous surprend plus. J’essaie de nettoyer les terminaux de la batterie, peut être y a-t-il un mauvais contact du fait de la corrosion ? Hélas non. Mélissa demande de l’aide à nos voisins, qui ont une caravane énorme. Madame fait gentiment la conversation, tandis que monsieur bougonne, rechigne sous son chapeau, c’est mal engagé. Il s’exécute finalement, pince sans rire. Un farceur.

Le marin providentiel. Alors que nous longeons une baie tranquille, j’ai encore une bonne idée : s’arrêter à un site de pisciculture, à Huon Port. L’entreprise «Huon Salmon» a déployé ici de grands enclos circulaires qui font de l’œil au fan de Thalassa qui sommeille en moi. Le verdict tombe : la batterie se décharge, même en plein jour ! Il va falloir faire quelque chose. Problème, tous les propriétaires des voitures alentours sont des pêcheurs, qui sont sur l’eau. Ni une ni deux, la secrétaire passe un coup de fil et un matelot débarque illico, avec une batterie portative «qui sert habituellement aux bateaux». Nous sommes sciés par tant d’efficacité.

Epilogue. Nous faisons un stop chez le garagiste, qui annonce la mort de la batterie, dans une agonie de bulles suspectes. On l’aimait bien, la batterie bleue avec ses bouchons jaunes. 98$ plus tard, nous revoilà en route. Nous n’oublierons pas les visages de nos charismatiques bienfaiteurs.

Aucun commentaire: